Ecriture et Qi gong: “créativité et ouverture intérieure”
Michel Messina m’a posé quelques questions sur le lien entre écriture (et globalement la créativité) et le Qi gong.
Michel Messina est professeur de Taichi chuan, de karaté kobudo et journaliste animateur radio.
(Michel Messina) — Quels sont les exercices de Qi gong préparatoires pour être dans de bonnes conditions pour écrire ?
En fait, plutôt qu’une posture je parlerais d’une intention. Le Qi suit l’intention. L’intention est donc très importante en Qi gong et surtout dans son approche interne, Neï gong. Et l’intention serait de retourner à la paix intérieure, l’espace d’accueil et de conscience, en soi.
Toutefois, s’il y a une posture à privilégier, ce serait la posture de l’arbre, avec les bras le long du corps, paume tournée vers l’arrière (“coudes ouverts”) : la posture la plus neutre, néanmoins pas la plus facile.
Cette posture entraîne l’ancrage et la verticalité. Elle permet le retour à la sensation corporelle et donc à l’instant présent. Elle apaise et donne de l’énergie. C’est donc LA posture idéale. D’ailleurs, le cœur même du Qi gong est de vivre le non-mouvement au cœur du mouvement et donc de vivre cet ancrage au sein du déséquilibre constant qu’est la forme extérieure de Qi gong. La sensation que procure l’arbre (immobile) doit pouvoir être goûtée dans la forme du mouvement (mobile).
Pourquoi “l’arbre” serait-il donc important ? Simplement parce qu’il permet de faire le vide ou plus exactement, de retourner à ce qui, en nous, ne bouge pas et est déjà vacuité. C’est le retour au non-mouvement, à l’Être, la Conscience. Et ainsi, l’Espace en soi se révèle.
C’est depuis cet Espace intérieur que jaillit la véritable créativité permettant donc aussi l’écriture. Mais pour rejoindre et dé-couvrir cet espace en soi, qui est déjà en nous, il faut se recentrer, s’ancrer et demeurer stable dans la verticalité. Car si cet état de vacuité et d’espace intérieur est déjà en nous, force est de constater qu’il est recouvert de nos tensions physiques, émotionnelles et mentales.
L’arbre est donc une posture idéale pour relâcher les tensions et gagner de l’énergie. Ainsi, nous rejoignons l’espace de paix intérieure. Vu sous cet angle, la posture de l’arbre est une forme de méditation contemplative, un non-mouvement en mouvement. Elle ouvre le chemin à une écriture provenant d’un espace d’ouverture.
— Qi gong veut dire travail du souffle et de l’énergie alors quelle est l’importance de la respiration et comment l’utiliser dans l’écriture ?
Effectivement, Qi gong est le travail avec le souffle et l’énergie. Le lien entre écriture et souffle/énergie, c’est l’instant présent. Quand on respire consciemment, on revient à l’instant présent. Alors pourquoi est-ce une clé pour l’écriture ?
Lorsque vous êtes conscient du souffle, celui-ci est relâché, détendu, profond. Nul besoin de respirer fort, au contraire, la respiration doit être plutôt abdominale, silencieuse. Cela calme et ancre.
Cette conscience du souffle (qui nourrit le Poumon, « maître du Qi »), c’est aussi la conscience de l’instant présent. Et en étant conscient de l’instant présent, vous entrez de plain-pied dans la Vigilance ou encore Présence à soi. Or, une des vertus de la Présence à soi, ou autrement dit la conscience corps-cœur-tête, c’est de se rendre disponible, ouvert, à l’écoute, au niveau des ces trois centres (corps-cœur-tête). Cette ouverture est l’écoute du monde du dedans, elle permet de se rendre « vide », ou creux si vous préférez, pour que nous puissions nous remplir de la créativité, pour que l’écriture s’écoule depuis un espace qui n’est pas véritablement l’intellect mais quelque chose d’au-delà de ça. Une chose plus subtile, plus dynamique, plus créative. Comme un flot qui s’empare de vous mais qui n’est pas vraiment vous. Cela ressemble peut-être au Daemon (Daïmon) de Socrate – qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le démon mais plus avec le génie, l’entité inspiratrice soufflant à l’oreille de l’esprit.
Dans une branche du Qi gong, nous abordons le travail intérieur qu’on nomme Neï Gong. Et lorsqu’on travaille Neï Gong, on active l’œil du dedans, Neï Guan. Il est amusant de voir que ce regard intérieur a un lien avec le 3e Œil (Yin Tran), lui-même en lien avec les fonctions supérieures de l’esprit, la créativité, le fait de Voir les choses par l’œil du dedans. C’est ainsi qu’on crée les choses d’abord l’esprit. Elles sont pensées, visualisées, imaginées dans le sens noble du terme.
Nous pourrions résumer ainsi la réponse que je viens de faire : la conscience du souffle amène l’apaisement, l’intériorisation et la disponibilité de l’esprit tandis que le corps s’ancre. Ainsi, l’écriture s’écoule directement depuis une source subtile. En vérité, tout cela pourrait se décliner et servir pour tous les arts.
— Quels sont les apports de l’écriture au qi gong et du qi gong à l’écriture ?
Je pense que cela dépend des personnes, et entre autres de si la personne est habitée ou pas par l’élan profond de créer par l’écriture. Toutefois, on peut avancer que l’écriture amène globalement un état de concentration élevé. Dans ce cas, il y a deux possibilités ; soit celui-ci est aigu et fermé, auquel cas, il emporte la personne et il n’y a plus de Présence à soi. On peut alors dire que la personne « est écrite », plutôt que « la personne écrit » – maître de son esprit. Soit la personne garde une part de Présence à son corps – et donc à elle-même et la personne n’est alors pas entièrement emportée. Elle est « portée », soutenue par le flot de la créativité, avec cette sensation d’être dans l’œil du cyclone : tout bouge autour tandis que la conscience d’être demeure stable au-dedans.
Certains ne peuvent pas faire taire leur art sous peine de vivre une tension profonde en eux. Il leur faut exprimer, faire sortir d’eux leur art et le matérialiser. D’autres personnes ne font cela que de temps en temps, sans que cela leur manque ou ne crée de tensions particulières. Si vous portez vraiment en vous la demande de créer – ici, écrire – alors, une vigilance particulière doit être portée sur cette qualité de concentration (le mot ne reflète pas forcément l’état de conscience).
Je pense aussi que le Qi gong a beaucoup à apporter à l’écriture, tout comme aux arts de manière générale. Et là, je parle du Qi gong au sens large à savoir conscience corporelle, présence d’être, globalement et ici et maintenant. Le gain d’énergie, l’ancrage, etc., tout cela est un pont pour une ouverture et une disponibilité d’être nouvelle. Et donc la possibilité d’une expression artistique qui ne découlerait non pas d’une torture intérieure mais bien au contraire d’une paix intérieure.
Ceci est un point important. On évoque souvent que pour écrire – comme pour d’autres arts aussi – il faut être torturé ou un peu malheureux et que cette souffrance permettrait de créer. Rien n’est plus faux. Ce qui est vrai est qu’effectivement, la souffrance amène la recherche – parfois, pas toujours –. Cette investigation peut amener à créer, à faire jaillir un cri intérieur. Alors l’art se matérialise, mais à quel prix !
Ce genre de créativité s’essouffle vite et mène à l’autodestruction. Et lorsqu’elle s’essouffle, les gens ont recours parfois à des drogues ou à d’autres souffrances – qui perdurent par un jeu inconscient – pour relancer la machine et le cercle infernal continue jusqu’au final dramatique. L’autre voie, celle de l’ouverture, de la conscientisation de la souffrance, de la conscience d’être, du travail sur soi, etc., celle-ci amène à la créativité d’un taux vibratoire plus haut, d’une source plus claire et bien plus durable et profonde. Et pour cause, celle-ci provient de l’énergie la plus pure en soi (et hors de soi : le Qi universel).
— Quels sont les interactions positives entre le Qi gong et l’acte d’écrire ?
On retrouve les points que nous avons évoqués plus haut : créativité, ouverture, concentration et force d’Intention, disponibilité d’esprit, voire même un certain entraînement à la Vision du 3e Œil (Yin Tang) via le travail fait par Nei Guan dans la branche du Qi gong interne (Neï Gong). Peut-être aussi la possibilité d’être concentré plus longuement et avec moins d’impact sur soi puisque la réserve d’énergie est plus grande.
— Est-ce qu’on peut utiliser l’écriture pour prendre davantage conscience de ce que nous vivons à travers la pratique du Qi gong ?
C’est possible. L’art agit comme un reflet de notre état intérieur, c’est valable pour l’écriture comme pour les autres arts. Si notre perception du Qi gong est profonde, détendue, ouverte, cet état se prolongera dans nos activités quotidiennes. Nous en prendrons donc conscience à travers notre expression artistique. Expression est d’ailleurs un terme intéressant : qui sort du dedans vers le dehors. C’est un mouvement Yang. Avant lui précède la dynamique Yin : la nourriture de l’intérieur par le Qi gong. Les deux mouvements se complètent donc merveilleusement, Yin, Yang, mouvements.