Je sors à nouveau de ma grotte pour évoquer quelques constats et ma perception des choses.
Je voudrais souligner d’abord ce qui concerne la pratique de pleine conscience et ce qui concerne l’interaction entre celle-ci et les événements actuels.
Le premier point primordial que je vois est la sidération.
Depuis plusieurs semaines, mais plus encore depuis l’annonce de ce second confinement, ce qui prédomine chez beaucoup de gens est ce sentiment de stupeur, de sidération, un peu comme quand, dans la rue, soudain quelqu’un se retourne et vous donne une gifle sans raison apparente. La plupart des gens en resteraient sidérés, cloués sur place, en état de choc tellement cela semble dingue.
En ce moment, la bêtise (protocoles sans queue ni tête), l’absurde (vendre des livres à un endroit et pas un autre, s’arracher du PQ, fermer les restaurants et laisser le métro ouvert, etc.), la violence (gazer des parents et des ados à la sortie d’un lycée ou envoyer des flics devant les écoles, par exemple) provoquent d’abord un état de sidération. Et c’est de pire en pire.
Mais ensuite viennent la colère, puis l’impuissance et, enfin, la rage ou la dépression (selon le caractère et sa propre histoire).
La sidération a cet aspect primordial qu’il fait directement chasse d’eau : l’événement passe directement dans l’inconscient, la plupart du temps. Le choc est tel qu’on ne peut ni gérer ni digérer (encore moins). Il y a une dissociation de l’émotion, du corps et de la pensée. L’émotion n’a même pas le temps de croître qu’elle est bloquée et enfouie, car sans cela, l’esprit sait très bien que ce serait trop violent à voir en face et que les dégâts seraient trop gros pour soi. Donc, dans l’urgence (notez bien le mot), c’est immédiatement refoulé.
C’est un point très important, car il bloque la pleine conscience, bien évidemment. Il faut donc une pratique bien ancrée et solide (et donc souvent est rodée) pour pouvoir revenir sur l’aspect qui a provoqué cela après coup, par des exercices précis (méditation, scan corporel, soutien psy et autre). Beaucoup n’ont malheureusement pas le temps de le faire. De plus, il faut du temps et de l’énergie pour cela, ce qui, dans l’urgence (notez encore !) est souvent difficile à trouver.
Donc, la plupart du temps, pour la plupart des gens, les tensions s’accumulent, jusqu’à devenir importantes.
Si la sidération n’est pas complète, elle entraîne très souvent la suite décrite plus haut : colère, puis impuissance (comme changer tout cela ? La masse nous semble incommensurable), viennent ensuite rage et désespoir (face un tel niveau de connerie).
Si nous n’avons pas perdu complètement l’esprit, comment oublier la crise écologique en cours qui, elle, sera bien plus grave si rien n’est fait (et rien n’est fait) ? Comment oublier que la dette qui se creuse (licenciement, faillites) sera colossale si ça continue et que, de toute façon, nous donnons clairement la clé du pays au fonds d’investissements privés pour racheter cette même dette (et donc nous attacher à eux) ? Et ce n’est qu’une partie du problème (créé d’ailleurs par le système lui-même).
Enfin, toujours selon la perspective d’une vie intérieure, ce qu’on appelle une « vie spirituelle », laïque j’entends sans pour autant rejeter l’aspect transcendant et vertical, la stupeur, la colère, la rage et la dépression, sont tous des freins psycho-émotionnels majeurs. Et bien sûr, cela fait dégringoler notre énergie (ou taux vibratoire pour ceux à qui cela parle). Nous voyons qu’un cercle vicieux s’est mis en place.
Pas d’énergie, pas moyen de digérer, accumulation des tensions… donc explosions, dépression, etc. OK, donc, il faut trouver une issue.
Voyons : sommes-nous posés, ouverts à la discussion, sereins, souriant lorsqu’on passe d’une sidération à une colère sourde ou ouverte ? Sommes-nous en pleine conscience lorsqu’on est sous le coup d’une déprime face à une énième absurdité ou injustice flagrante ? Non, bien évidemment.
Donc, là se joue encore un autre aspect : nous sommes donc soumis à des injonctions (dois-je dire un lavage de cerveau ?) de peur en permanence (le pire poison pour l’esprit), suivi d’un contrebalancement naturel vers la colère (un animal qui a peur mord et attaque), puis un retrait suivant l’épuisement physique et psychique lorsque l’énergie de colère est grillée. Il nous faut voir en face cette danse infernale.
En bref, je mets ici en garde contre l’épuisement qui gagne chacun. Il nous faut faire face et augmenter même notre pratique. Revenir vers notre zafu, accepter que les mois et années qui viennent vont amener un lot de défi comme nos grands-parents ont pu connaître, et peut-être plus encore.
Je me rappelle à 20 ans ce que j’ai vu en Bosnie, juste à la fin de la guerre. Jamais je n’oublierai et je sais qu’il y a toujours plus grave. Mais il y a toujours aussi la possibilité d’ouvrir de nouveaux chemins pour améliorer et trouver de nouvelles issues et possibilités. Ce n’est pas du positivisme à deux balles, mais simplement le fait que l’humain dispose de ressource insoupçonnée. L’Histoire l’a montré de nombreuses fois.
Force et courage, mes amis. Surtout, ne fléchissons pas. Restons droits, souvenons-nous de Martin Luther King, Gandhi et bien d’autres.
Si le système veut nous voler la dignité (en plus du reste), rien n’empêche de la restaurer au fond de nous et autour de nous avec nos proches. Retourner aussi à notre source intérieure, qui redonne stabilité et force. Ce n’est qu’à partir de là que naîtront une perception plus vaste et des actes puissants et aux répercussions durables.
Demeurant souples et adaptables, résistons à cette folie ambiante.